L’ambition affichée dès 1992 par Chahi et son équipe transpire toujours dans les deux galettes qui composent Heart of Darkness. Une approche résolument cinématographique qui se remarque dès la longue introduction du jeu, présenté ici comme un générique de film lancé après avoir choisi une nouvelle partie : démarrage du fond musical, logos animés des compagnies, arrivée dans l’espace, présentation textuelle et avec effets visuels des producteurs exécutifs et principaux créateurs, montée en puissance de la musique composée par Bruce Broughton (s’il vous plait !), puis titre sérigraphié lors de l’apothéose orchestrale. Petit frisson garanti. Puis la caméra voyage dans notre système solaire, passe Saturne, arrive sur Terre, une zone urbaine, et finit sur le fracas qu’un coup de règle en bois sur le pupitre d’école d’Andy, notre héros. S’en suit plusieurs péripéties que l’on va résumer rapidement : Andy est menacé d’une sévère punition (une mise au placard) mais est sauvé par la sonnerie. Il s’empresse de sortir de l’école où l’attend au dehors son chien Whisky (?!), et voilà les deux partis au parc pour aller voir une éclipse solaire. Sauf que pendant l’événement astrologique, une force des ténèbres chien-nappe Whisky. Passé le choc de l’enlèvement soudain, Andy accourt chez lui et prépare le sauvetage : fin bricoleur, il avait conçu une machine volante et un fusil éclectique à partir de bric et de brocs, et c’est maintenant le moment de s’en servir. Partant pour l’étrange monde des ténèbres, son vaisseau heurte une créature volante, ce qui l’obligea à se poser en catastrophe dans la corniche d’un canyon. Et… Sans crier gare, le premier écran de jeu s’affiche : c’est à nous de jouer. Ce genre de transitions sera monnaie courante dans le Heart of Darkness, prenant souvent la main après une séquence de jeu pour y appliquer une appliquer une cinématique, ce qui donne une véritable impression de fluidité… Comme un film en fait. Si ce concept n’avait finalement rien d’innovant – citons juste Final Fantasy VII, il est fort bien appliqué dans Heart of Darkness.
Passé l’introduction, on se retrouve face au jeu, qui n’est autre qu’un plateformer façon ”die and retry“, avec aucune barre de vie et pas la moindre interface. Les premiers tableaux vont permettre de s’approprier les contrôles et commencer à savourer la difficulté toute particulière du genre, où quand la possibilité de pouvoir recommencer rapidement permet de se passer de Game Over sans exploser le challenge tout en restant amusant. L’essence même d’Another World est une fois encore bien présente, et elle n’hésitera pas à nous le rappeler dès le début, avec des morts brutales mais mine de rien prévisibles. Andy a pourtant tout ce qu’il faut pour se mouvoir et agir sur son environnement : il peut sauter, se baisser, courir, grimper ou encore pousser des objets. De l’autre côté, la conception des niveaux est un véritable bonheur : variés, vicieux et parfaitement aiguisés pour être un tantinet retors sans pour autant être frustrants. Le nombre de façons de mourir dans le jeu est d’ailleurs aussi admirable que malsain. Oubliez Limbo : outre les chutes, Andy pourra être écrasé, avalé, liquéfié, carbonisé, dépecé ou encore écartelé. Il faudra donc évidemment se méfier de tout : des pièges et des trous bien évidemment, mais également de la flore locale mais surtout de ces étranges créatures qui peuplent de monde des ténèbres, sortes d’ombres aux yeux luisants, dont les voix rigolotes ont tendance à faire oublier qu’elles sont dangereuses, et parfois très nombreuses.
Les trois premières de jeux permettront d’en faire justement le constat, avec cette première et marquante vague d’ennemis, bien décidée à dévorer Andy, qui lui est heureusement – bien que temporairement – armé. C’est l’occasion de s’apercevoir que pour un titre 2D qui date de 1998, c’est mine de rien EXTRÊMEMENT bien animé. Difficile de nier tout le travail accompli par les équipes artistiques sur les sprites des monstres et surtout d’Andy, avec beaucoup, mais alors beaucoup d’étapes d’animation. Genre 2000 frames. En résulte une fluidité encore bluffante, et une intégration très convaincante, le jeu s’autorisant même parfois à incruster des vidéos directement dans les décors pour rendre l’univers entre plus vivant. Univers d’ailleurs superbe, avec des mondes aux designs et ambiances différentes. On est limite – encore une fois – presque en présence d’un film d’animation, un peu hydride du coup, avec ce mélange de 2D et de cinématiques 3D. L’ensemble n’a pas spécialement vieilli, surtout sur PlayStation, où les graphismes sont balancés dans une résolution supérieure à la version PC, au détriment d’une qualité sonore revue à la baisse, mais rien de méchant. On pourra apprécier les compositions de Bruce Broughton sans que nos oreilles tiquent sur un faible encodage.